Si il y avait bien un événement à ne pas manquer parmi la soixantaine de concerts proposés sur l’affiche du « Skoda Jazz Festival », c’était la réunion de Chick Corea et de John McLaughlin – dernière rencontre ? « Bitches Brew » de Miles Davis ! + quelques sessions en invités) -dans une formation inédite au sein de laquelle on retrouvait d’autres « heavy weights » du jazz, comme le soulignait John McLaughlin en présentant ses associés : Christian McBride à la basse acoustique et électrique, l’extraordinaire batteur Vinnie Colaiuta ( ex-Frank Zappa, Sting,…) et le saxophoniste Kenny Garrett, ce dernier ex-partenaire lui aussi de Miles Davis. Il était par ailleurs intéressant de constater que l’ossature du programme du festival rayon « jazz pur jus » était constituée cette année d’anciens musiciens de Miles : aux trois cités ci-dessus, il faut ajouter John Scofield, Dave Holland et Herbie Hancock… Pour ajouter du piment si besoin était, John McLaughlin accueillait dans la salle Herbie Hancock lui-même et son band, déjà présents à Anvers pour un concert dans la même salle Elisabeth le lendemain !
Départ en flèche très électrique avec « Raju » une composition hyper-dynamique du guitariste extraite de son dernier album « Floating Point » ; suit une nouvelle composition du pianiste « The Disguise » qui le voit passer au grand piano acoustique : mélodie superbe, la sérénité reprend le dessus avant un « New Blues Old Bruise » de l’album « Industrial Zen », blues moderne et déjanté mené à la baguette par un Colaiuta déchaîné en solo permanent, du grand art ! McLaughlin déroule des notes vertigineuses ! Quarante minutes pour trois pièces d’anthologie puis une pause avant le feu d’artifice total.
« Hymn to Andromeda », une nouvelle composition de Chick Corea débute sur un tempo lunaire, un duo rêveur et subtil entre la contrebasse et le piano ; guitare et batterie mettent alors la pression, la tension monte à son paroxysme jusqu’au solo rageur de Kenny Garrett, sorte de délire free et coltranien à la fois ; on respire à nouveau et la pièce maîtresse du concert se clôture par un nouveau duo Corea-McBride, vingt-cinq minutes après son entame, l’audience n’y a vu que du feu. Seule pièce du répertoire, le « Dr Jekyll » (ou « Dr Jackle ») de Jackie McLean se voit complètement reconstruit à en devenir méconnaissable – McLaughlin suggérera à bon escient que cette pièce pourrait s’appeler « Mr Hyde ». « Senor CS », une nouveau titre de l’album « Industrial Zen » de McLaughlin clôture un deuxième set plus acoustique avant le rappel que tout le monde espérait sans oser y croire : il suffisait de se retourner et de regarder deux rangs derrière : Herbie Hanccok avait quitté son siège… Le temps d’imaginer sa venue sur scène et il y était ! Imaginez : devant vous, trois des monstres réunis sur l’album « In A Silent Way » de Miles Davis en 1969 : Corea, Hancock, McLaughlin « on the stage » : frissons et moment historique (au fait, Herbie porte un tee-shirt à l’effigie d’Obama !). Hancock au grand piano et Corea aux claviers électriques et c’est parti, on attend tellement ce mythique « In A Silent Way » qu’on le devine au détour du solo de McLaughlin, puis se dessine plus clairement les riffs de guitare de « It’s About That Time » du même album. Plus de deux heures de musique de haut vol alliant technique, groove, mise en place parfaite et sono impeccable (dommage les crachotements au début du rappel). Le public est ravi et on ressent l’événement dans les cris de ravissement de la salle. Sans doute le « Skoda Jazz » vient-il de vivre une de ses rencontres au sommet qui grandit un festival, si besoin en était encore.
Jean-Pierre GOFFIN
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