Pourquoi le reggae ?
Pour beaucoup de raisons. Faut pas présenter le truc comme un album : c’est un best of. J’avais déjà fait des compiles, mais si j’avais fait un vrai best of, ça aurait été une succession de tubes. Ça aurait fait « le mec, putain, il a plus rien à dire, quoi ». J’avais cette idée depuis que je suis allé en Jamaïque et rencontré Gary Payne avec qui j’ai fait "Love Generation". J’ai rencontré des gens incroyables, un vivier de talents, des gens qui vivent pour la musique et la danse. Cette musique n’est jamais vulgaire, enrobée d’artifice, ce n’est que de la joie, que du bonheur, que du soleil. J’ai dit à Gary : « Je me sens des affinités avec cette musique, de part mes orientations vocales. Je veux travailler avec Sly & Robbie, les producteurs mythiques. Eux, c’est Quncy Jones, Grace Jones, Nina Simone, Serge Gainsbourg, Bob Marley, des monstres de la musique. Ça fait 40 ans qu’ils sont dans la musique, z’ont bossé avec tout le monde. Même des DJ’s, comme David Moralès. Moi, je voulais revenir à des racines musicales. Donc je vais refaire mes chansons acoustiques, avec vraie batterie et vraie basse. On va essayer de produire cet album comme Serge Gainsbourg quand il est allé en 1968 à Kingston. J’ai toujours des instincts, comme ça. C’est ça la carrière d’un artiste : les instincts.
Mais n’est-ce pas un luxe que tu peux t’offrir parce que tu t’appelles Bob Sinclar ?
C’est un luxe, c’est vrai, mais c’est une volonté. C’est une nécessité. Cet album, c’est une pilule de bonheur. Y a des gens qui prennent du prozac, moi c’est la musique. Dans le reggae, pas de sons artificiels pour que les gens dansent : l’arrangement devient dérisoire, la musique est minimale, et le côté lancinant met en avant la mélodie et le message de la chanson. A partir du moment où j’ai voulu avoir des thèmes forts sur mes chansons, à partir des années 2000, j’étais sûr que cette musique allait les sublimer. C’est une expérience. Je sais totalement où je vais. Je veux que mes titres passent à la postérité. Il y a sans doute un côté super mégalo là-dedans…
Mais ça correspond à ta personnalité, non ? Tu aimes te mettre en avant, poser en te valorisant sur tes pochettes…
Ouais ouais ouais, mais y a toujours du second degré sur ces pochettes. Une petite mise en scène. Sûr demoi ? Je sais pas. J’ai confiance en mon travail. Et je suis mes envies. C’est pas toujours évident quand t’as eu beaucoup de succès et vendu des millions de disques. T’as
Y a un côté courageux car tu risques de décevoir un certain public…
Décevoir ? Je crois pas. Ceux qui attendent du son dance, c’est sûr, ils vont être déçus. Mais je leur dirai que le reggae, c’est la dance de la Jamaïque. Je leur dirai aussi qu’il faut écouter, pas entendre. Tu mets pas un album de Sinclar quand tu rentres chez toi le soir. Tu le mets quand t’as envie de sortir, en avant-boîte, t’écoutes ça dans ta bagnole, dans les clubs. Mais pour le côté relaxant, ça c’est le parfait exemple « made in Jamaïca ».
Et en live ? On peut imaginer Bob Sinclar jouer dans un festival world?
Non, alors là, faut quand même pas mentir aux gens. Faire un live avec Sly & Robbie, faudrait que j’y trouve ma place. Déjà. Faut pas péter plus haut que son cul. Moi, je sais faire un chose, c’est DJ. Il y a deux inédits sur l’album, je vais les remixer club. Je voulais juste partager. Mon kif, c’est le partage.
Il a fallu beaucoup réécrire ?
Non, la difficulté, ça a été de trouver les harmonies de mes chansons. Ensuite, de trouver un son. Moi, je voulais un son du début des années 80, entre Bob Marley et Serge Gainsbourg, totalement acoustique, avec des instruments de l’époque pour trouver le côté « roots ». J’ai alors grossit la batterie, en gardant le feeling du batteur. C’est un travail de studio assez conséquent pour avoir le gros son d’aujourd’hui avec la texture de l’époque. J’ai la nostalgie du son d’hier. J’aime le son chaud de la bande, le bruit du vinyle, l’authenticité.
Est-ce que tu crains la réaction des fans de reggae ?
Ecoute, j’ai un partenariat en France avec Reggae Magazine. Certains spécialistes m’ont dit : « putain, mais c’est le meilleur album de reggae que j’ai entendu depuis 30 ans ». Tout ça sans prétention.
Des tubes « a priori »…
C’est ça ! Je n’aurais pas pu faire un album reggae 100% neuf. Là, ça aurait été une erreur de carrière. J’voulais juste réécouter ces morceaux différemment. Et les faire passer à la postérité.
La question qui revient toujours avec les producteurs électroniques : y a-t-il le complexe du musiciens qui se repose sur ses machines pour composer ?
Totalement pas. De temps en temps, j’me dis : « si t’avais appris le solfège, t’irais beaucoup plus loin ». Mais je pense que si j’avais eu cette formation classique, je n’aurais jamais fait cette musique-là. Je me suis focalisé sur le recyclage des sons. Je travaille le son comme un fou. Depuis 15 ans, je bidouille les sons dans ma cave.
Ta carrière a un peu commencé sur un quiproquo, avec ton premier tube dont on ne savait pas trop bien qui l‘avait composé…
(Interrompant, agacé) Alors, que ce soit clair : ma carrière, elle a commencé en 1993, avec Mighty Bob, Reminiscence Quartet, avec le label Yellow Production. Ensuite, l’album Paradise d’où est extrait le titre "Gym Tonic" est né d’une collaboration avec Thomas Bangalter (de Daft Punk, NDLR). Y a pas eu de quiproquo. Tu fais pas des tubes par hasard. En effet, si y avait eu Gym Tonic et rien derrière, y aurais eu un quiproquo. On aurait dit : « ben putain, Bob Sinclar, y fait un tube avec Thomas Bangalter puis plus rien ». J’ai beaucoup appris avec Thomas Bangalter, il a énormément de talent et je le respecte beaucoup. Malheureusement, y a beaucoup de gens jaloux autour des superstars. C’est vrai qu’à l’époque, Thomas Bangalter et les N°1 des producteurs. Quand il te mets le pied à l’étrier, te dis « j’adore ce que tu fais, je veux bosser avec toi », tu peux pas refuser.
Tu as commencé sur la scène alternative. Aujourd’hui, tu es superstar...
(Interrompant encore) Je dirais surtout que le DJ est superstar…
Oui mais tu passes sur les chaînes commerciales… Ce statut de monstre ne t’ennuie pas par rapport aux puristes ?
Alors là je m’en fous complètement. Depuis que j’ai commencé, cette espèce d’ayatollah de la musique et toute cette connerie, où y a des gens qui s’estiment plus érudits que d’autres avec leur ton professoral, je m’en contrefous. Y a eu un moment au milieu des années 90 où certaines critiques de certains magazines me touchaient énormément car j’ai toujours fait la musique avec sincérité. Que tu aimes ou pas, c’est une chose. Mais tu ne critiques pas un album pour le défoncer. Il y a suffisamment d’albums qui sortent que pour perdre son temps avec des merdes. Et puis la France est un pays spécial où on ne salue pas le succès. Surtout si en découle de l’argent… Y a du snobisme en France… A fond et ça m’éneeerve. Quand un nouveau Bob Sinclar sort, ils ne se jettent pas dessus comme des morts de faim. Je suis supporté 100 fois plus par l’Italie, l’Espagne ou la Belgique que par mon pays. Mais c’est la même chose pour tout le monde. Sans arrêt, ils nous testent.
On peut comparer avec Dany Boon, qui malgré son succès, n’est pas reconnu ?
Ça, c’est un autre débat. On a en France ce côté professoral par rapport à la culture populaire, qui dégoûte.
T’as quand même eu des prix. Meilleur DJ français en 2007…
Ouais, j’en ai eu aussi en Belgique. J’en ai eu beaucoup. Ça me touche parce que c’est la reconnaissance de mes pairs. Le public, il est là tous les week-ends à te remercier. Les gens te remercient avec les yeux. T’es adulé par les filles, par les mecs. Un prix, c’est pour ton travail.
Non, je m’entends très bien avec tous mes collègues. Y a pas de jalousie.
Est-ce qu’on te reproche de vendre ta musique à TF1 ou via sonneries de GSM ?
Quoi que tu fasses, on te reprochera toujours un truc. Je viens d’un milieu très underground. J’ai monté un label avec, à la base, une musique qui ne se vendait pas. Dans ce milieu-là, on n’associe pas sa musique avec des choses aussi vulgaires que la téléréalité. Maintenant, après 12 ans de carrière, y a un mec qui te dis : « voilà, les gens les plus populaires plébiscitent ta musique ». Y a deux manière de le prendre : soit tu refuses…
C’est snob…
C’est snob et je l’ai été. Mais c’est con. Car tous les musiciens veulent qu’on écoute leur musique. Le gars qui te dit qu’il veut la garder pour lui, c’est un menteur. Le jour où tu vends un million d’albums, t’es le roi du monde et t’es très heureux. T’as la récompense. Tu touches les gens. C’est extraordinaire.
Tu vends les albums par camions…
(Interrompant, pas peu fier) Ouais ouais, moi j’ai vendu 4 millions de disques jusqu’ici, ouais…
Dans ta vie quotidienne, tu en profites de façon luxueuse ?
J’ai pas de voiture de sport, j’ai pas de bateau, j’ai pas de maison de campagne. J’ai acheté un appartement pour mettre ma famille à l’abri. C’est vrai, j’aime être bien habillé. Mais j’ai des choses tout à fait normales pour quelqu’un qui gagne sa vie normalement. J’investis beaucoup d’argent dans mon label parce qu’aujourd’hui, la musique est devenue gratuite. Il faut sans arrêt réinvestir dans ton image. J’ai créé la marque « Bob Sinclar » que j’associe avec d’autres marques. Mais je ne m’associe pas avec de l’alcool. Je garde mes convictions.
Te sens-tu en quelque sorte le « parrain » d’une certaine scène française ?
Totalement. Là, la génération des 20 ans vient me trouver, avide de conseils. Ils posent des questions que je ne me posais pas quand j’ai commencé. J’ai tout fait tout seul. Je suis mon propre agent. Je pense avoir réussi un truc important, c’est d’avoir créé une image d’artiste pour un DJ.
Tu sens comment ta retraite ?
Je sais pas. J’y pense pas. Y a encore aucun DJ qu’es parti à la retraite donc c’est difficile à imaginer.
Tu tiens à ton physique ? Tu soignes ton bronzage ?
Je le fais pas de façon narcissique. Quand tu es un artiste, il faut savoir prendre soin de soi, bien présenter. Bien parler, être agréable avec les gens. Faire rêver les gens aussi. Donner une image totalement dépravée, c’est pas du tout moi. J’ai toujours eu le goût de la mode. Mais ce n’est pas quelque chose que je fais à outrance. Je ne ferais pas d’injection pour paraître plus jeune.
Tes enfants écoutent déjà ta musique ?
C’est mon premier auditoire. Ils ont une spontanéité immédiate. C’est la mélodie qui les touche, sans notion commerciale.
Le public belge, il est comment ?
La première fois où j’ai joué hors de France, c’était en Belgique. Le label NEWS m’a toujours soutenu et la Belgique est le pays où j’ai eu le plus de prix. Le public y est très érudit. Laurent Garnier y a joué avant de jouer en France. Il y a beaucoup de techno, de rock, de reggae. D’ailleurs les radios du nord de la France copient la programmation des radios belges, qui sont beaucoup plus pointues. En Belgique, je peux vraiment m’aventurer dans des morceaux plus osés. C’est aussi le seul pays où je fais des festivals. Car c’est pas la fête de la bière : les gens écoutent vraiment la musique.
Un album beaucoup plus orienté club, pour la fin de l’année.
Un cadeau de la part de ton public belge ?
Difficile de demander. C’est à moi de donner. J’espère être toujours être à la hauteur de ce qu’ils m’ont donné.
Interview:
Julien RENSONNET
i - Bob Sinclar, Made in Jamaïca, Yellow/541/NEWS
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