Son grand-père lui fait mémoriser les poèmes de Baudelaire dès son plus jeune âge et Stacey poursuit ses études en français, de là une diction impeccable : « J'avais sans doute une oreille pour les langues, mais mon désir de communiquer avec le public est aussi important. En jazz, on parle beaucoup de timing, de phrasing, d'arrangement, mais l'aspect communication est souvent laissé de côté, alors que pour moi, la fondation, c'est le texte. » Rencontre.
Vous avez commencé à apprendre le français avec votre grand-père en récitant des poèmes de Baudelaire; il en a sans doute fallu plus pour arriver à cette diction quasi parfaite dans la langue de Molière.
Merci, c’est très gentil de me dire ça parce que, vous savez, c’est curieux, je dirais que je suis un peu fermée à l’extérieur, c’est-à-dire que je ne peux pas entendre ce que vous entendez ; même si je parle assez bien cette langue, je n’entends pas ce que vous entendez.
Cet album est sûrement le plus personnel, le plus intimiste, je suis vraiment fière de ça parce que j’adore la poésie sur cet album, j’ai fait une énorme recherche pour trouver des chansons qui étaient vraiment moi, mais en même temps, au niveau de l’accent, à cause du fait que je ne suis pas française et que ce n’est pas ma langue maternelle, je n’entends pas à l’intérieur, je ne peux pas et ça, c’est une frustration et en même tps, on l’accepte et on commence à l’accepter assez tôt parce que pour moi, une métaphore c’est ça : je suis là, j’existe, je vis chaque moment de ma journée, mais en même temps je ne me vois jamais, je ne peux voir ce que vous voyez… et c’est la même chose avec la langue parce que mon oreille est déjà assez développée. J’ai parlé le français assez tôt grâce à mon grand-père, mais c’est aussi un homme qui est étranger, dont ce n’était pas la langue maternelle non plus, je n’étais pas dans la culture française, je n’étais pas à l’intérieur de la langue. J’avais l’oreille assez douée pour les langues, c’est pour ça que mon grand-père m’a fait parler le français, m’a fait mémoriser des poèmes ; cela lui a donné beaucoup de joie de me faire apprendre toutes ces choses parce que lui avait un accent très fort ; ensuite, je suis allée à l’université et j’ai continué à faire des études en français parce que mon grand-père m’a donné une curiosité énorme et aussi je voulais lui plaire car j’adorais cet homme. Sur le chemin de la découverte du français, j’ai partagé cette sensibilité pour la langue et la poésie… Si je chante en français aussi, bien sûr c’est pour les chansons mais c’est aussi quelque chose de beaucoup plus personnel car c’est ma vie entière qui est partie de cette culture.
Quand vous choisissez votre répertoire, vous privilégiez le texte ? Ou le texte est indissociable de la musique ?
Oui, il y a un mariage inévitable entre les textes et la mélodie, ce serait impossible de chanter une chanson dont j’aime le texte et pas la mélodie. Il faut le mariage mais en même temps, la fondation c’est le texte. En faisant mes recherches, parfois j’avais les textes devant moi sans écouter la chanson pour être à l’intérieur, pour développer ce rapport entre moi et la poésie, il me fallait être à l’intérieur, la poésie est la chose qui me dirige dans la vie. L’acte d’assimiler inconsciemment la poésie est important pour moi. Le faire dans une langue qui n’est pas la mienne est difficile car il me fallait me mettre en dedans, c’es pourquoi je lisais les textes sans écouter la musique.
Les chansons originales de l’album ont-elles été pensées pour vous ?
Les textes des nouvelles chansons ont été spécialement écrits pour moi et ça c’est une chose extraordinaire parce que les gens avec qui je travaille ont vraiment partagé cet univers avec moi, il y avait une alchimie énorme entre nous. C’est très important car je ne voulais pas seulement choisir des jolies chansons, je voulais créer un univers avec des gens qui le partageaient avec moi.
Votre univers justement n’est-il pas mieux adapté à des petites salles de concert ?
Ça dépend des salles, parfois c’est plus distant, je ressens ça parfois et on joue de manière différente. C’est ma personnalité, c’est comme ça que je suis. Pour moi le besoin est de communiquer ; un concert est plutôt une conversation entre moi et le public, les paroles comptent beaucoup pour ça. En cela la diction est centrale car je veux que les gens comprennent chaque parole même si ils ne comprennent pas la langue – je chante en Asie, en Scandinavie etc – mais si je parle avec une diction très claire, on présente quelque chose d’accessible. Je ne veux pas dire que c’est LA façon de présenter la musique, mais ma responsabilité comme artiste est d’être qui je suis, une personne qui a besoin de communiquer.
On ressent une grande émotion à travers tout l’album.
Je suis quelqu’un d’émotionnel, mais sans l’aspect dramatique. Par exemple, si je choisis une chanson comme « Le Mal de Vivre », une chanson qui pourrait être vraiment dramatique, comme Barbara la chantait parce que c’était sa façon d’être, c’est pour la chanter à ma façon. C’est ce que j’aime dans la musique, c’est comme en peinture, c’est le cadre vide au début et l’artiste présente sa personnalité : ça peut être quelque chose qui bouge et plein de couleurs ou quelque chose de pratiquement vide et blanc, moi je préfère la tranquillité, la tendresse, la douceur, j’interprète alors les paroles pour elle-même.
Vous n’avez jamais pensé composer ?
Composer moi-même ? Non, je veux que les choses se passent naturellement. Je me sens très à l’aise comme interprète et pas comme écrivain…Je ne peux pas exactement expliquer pourquoi , mais je l’accepte, je n’ai aucun besoin d’écrire, je pense m’exprimer le mieux avec des textes écrits par d’autres…Mais pourquoi ? C’est comme expliquer pourquoi j’écris avec la main gauche, pourquoi j’ai les yeux bleus, pourquoi mon frère aime dessiner et moi non... Pour moi le challenge c’est prendre une chanson, l’écouter et dire oui c’est moi. J’imagine que c’est une attitude proche du comédien qui lit un texte et se dit qu’il peut ou ne peut pas jouer ça, je ne suis pas acteur, mais je fais la comparaison parce que c’est proche de l’acte d’interpréter ; l’acteur décide qui il veut être, de la même façon que moi je me connais très bien, je me comprends. Des choses m’attirent ; par exemple pour cet album, je savais depuis longtemps que je voulais chanter « L’Etang », c’est une chanson vraiment parfaite pour moi : elle parle de la nature, de l’amour de la nature, toutes ces choses que je vois chaque jour autour de moi, je suis très inspirée par la nature, c’est un moment d’impressionnisme pour moi.
En proposant un album entièrement en français, avez-vous pensé à la réaction du public anglophone ?
Quelque chose d’extraordinaire se passe : j’ai fait cet album car j’avais un besoin et cela n’a pas posé de problème au niveau de la maison de disque parce que je sais que j’aurai encore une carrière assez longue, que je ferai d’autres albums ; je ne me suis pas préoccupé de savoir combien de gens seraient touchés par cet album, mais ce qui est ironique c’est que le monde entier partage cette passion pour la langue française… Je ris parce que après l’album « Breakfast on A Morning Tram », on a fait un voyage énorme, difficile,dans 27 pays pendant un an et demi avec un album sorti dans 36 pays. Avec ce nouvel album en français, j’ai dit à Jim, mon mari : ce sera plus facile on restera en Europe, peut-être au Canada…mais on a découvert que le monde entier est fasciné par le français et maintenant cet album va finalement sortir dans le monde entier : Chine, Taiwan, Japon, Inde, Turquie, Hongrie, aux USA, Allemagne –ils adorent, ils sont fous de la langue française, ils insistent pour que je chante en français ! – J’ai déjà enregistré quelques titres en français et les gens insistent pour que je les chante, ils me le demandent sur Facebook… « Svp il faut chanter « Jardin d’Hiver » !! » C’est extraordinaire parce qu’ au départ cet album est vraiment très personnel et le partager avec beaucoup de gens est très fort, et voir le public réagir à la sonorité de la langue compte énormément… et ça c’est merveilleux.
Encore une fois votre diction y est pour quelque chose…
Je ne sais pas si je prononce de façon impeccable, mais je le fais avec amour. Je sais difficilement juger, le français est une langue des lèvres, ma langue est une langue de la gorge…on ne parle pas de ça souvent, mais c’est important et très sensuel, la sensation des paroles, ce n’est pas seulement le sens des paroles, mais l’acte de parler, la sensation…C’est quelque chose dont on ne parle pas dans le jazz : on parle de timing, de phrasing, d’arrangements et les autres aspects, mais jamais de ce côté physique de la langue qui compte beaucoup pour moi.
Y a-t-il des choix de chansons qui vous sont apparus évidents ?
Chaque chanson m’a parlé avec puissance, mais il y a des souvenirs très forts comme en écoutant « Raconte-moi » pour la première fois, j’étais bouleversée et j’ai su qu’il fallait me l’approprier, c’était ma chanson dans un sens autobiographique, je savais que ce serait le titre, une chose douce, intimiste. Ce texte est si sensuel, c’est l’acte de raconter et d’écouter, être avec les yeux fermés et écouter la voix de la personne qu’on aime, on peut parler de n’importe quoi, ça peut être des bêtises ; ce que j’aime dans cette histoire c’est que ce n’est pas la vie parfaite, idéale, il y a cette lutte car elle lui dit: je m’en fous des choses de ta vie, viens avec moi, reste avec moi dans un moment tendre et intimiste, le monde extérieur reste à l’extérieur, la porte est fermée…et pour moi qui fonctionne beaucoup avec les oreilles, c’est important : j’aime les sons, le bruit des arbres, je passe ma vie en m’écoutant et cette image d’écouter elle est dans cette chanson. « Venus du Melo » est une chanson un peu plus névrotique avec cette lutte, mais c’est adorable, « Jardin d’Hiver », un autre moment de nature, intimiste qui parle de désir et de séduction… Ces chansons là je savais que je les ferais. La chanson de Jonasz m’a bouleversée, c’était un cadeau pour moi d’écouter cette chanson que je ne connaissais pas.
Vous vivez dans le Colorado, un état où la culture européenne est peu voire pas connue.
Dans le Colorado, je suis loin de la culture française, mais il y a les films, les livres, la musique, mais là il y aussi la montagne et c’est aussi quelque chose qui compte pour moi.
Propos recueillis par
Jean-Pierre GOFFIN
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