Anders Trentemøller commande aux éléments. En 2008 aux Ardentes, dieu Thor derrière ses machines, il avait invoqué l’orage. Puis martelé le public liégeois des foudres électroniques de son magistral premier album, «The Last Resort», dans un ciel zébré d’éclairs droit descendus du Valhalla. Un instant divin, où musicien et public communièrent sous les trombes d’eau. Un instant que le Danois et son public pourraient revivre ce mardi, alors que la Belgique accueille le leader de la scène électronique nordique dans une AB sold out depuis longtemps. (Photos NEWS)
En juin, Anders Trentemøller sortait un «Into the Great Wide Yonder» rêveur dans un écrin prémonitoire. Sa pochette lilas, prophétique, étalait sur la table de la librairie bruxelloise où nous le rencontrions les bouffées ouateuses d’un nuage de cendres volcaniques. Elle a pourtant été conçue deux mois avant l’éruption du fameux Eyjafjöll islandais.
Les yeux soulignés du même noir d’obsidienne que ses ongles vernis, le grand Trentemøller, figure emblématique de la scène electronica scandinave, était alors revenu pour nous sur cette coïncidence. Il expliquait que ce noir est aussi celui des plages de galets islandaises qui l’ont inspiré. Provoquant l’éruption des humeurs post-rock et pop dans le son du doux et timide Danois. Sa venue ce mardi soir à l’AB nous semble le bon moment pour vous servir cette passionnante rencontre au léger pessimisme éclairci par les bulles blondes d’une Duvel.
Es-tu un gros lecteur?
Non, j’suis un peu embarrassé, mais non : je ne suis pas un gros lecteur. J’aimerais vraiment lire plus, mais non…
Donc, tu n’es pas un adepte des polars scandinaves…
Non, et c’est bizarre car je crois que ça me plairait beaucoup, mais je consacre trop de temps à la musique.
Tu lis ce que les journalistes écrivent sur toi?
Parfois, mais d’habitude, je ne le fais pas. Parce que, quand ils me critiquent, je me dis qu’ils ont raison et je m’adapte. Donc de plus en plus, je me fais confiance à moi-même. Et puis, on ne peut pas plaire à tout le monde. Quand on est un personnage public - au Danemark, Trentemøller est une star -, beaucoup de monde s’intéresse à soi. Ils peuvent être haineux. Surtout sur internet. Alors je me reconcentre, j’essaye juste de composer la musique que j’aime.
Ton premier album a été très bien reçu. Par le public, mais aussi par la critique. Tu crains l’accueil de ton second disque?
Je ne suis pas effrayé. Bien sûr, j’espère qu’il sera bien reçu. Mais pour moi, c’est plus important de me sentir bien, et d’exprimer ce que je ressens. Je ne compose pas pour plaire. J’ai toujours voulu être musicien, c’est ma passion. Même si je n’avais pas la chance de sortir des disques, je composerais.
Ta musique t’a tout de même rendu célèbre, surtout au Danemark. Ça te fait quoi, cette célébrité?
C’est très relatif, même au Danemark. Personne ne m’arrête dans la rue. Mais c’est vrai, les gens achètent mes disques et je leur en suis très reconnaissant. Tu sais, le succès est fluctuant. Et je suis toujours préparé à la chute.
Tu expliques que ta musique exprime ce que tu ressens. Mais elle est très mélancolique. Tu es quelqu’un de triste?
Les gens me demandent souvent si je suis dépressif. Mais je crois plutôt que je serais triste si je ne faisais pas de musique. C’est un cliché, mais la musique est comme une thérapie pour moi.
Tu dois composer tous les jours?
Non, mais j’y pense tous les jours. Il s’agit aussi de ne rien forcer, de rester cool, pour que l’inspiration surgisse sans entrave.
De quelle manière travailles-tu?
L’inspiration peut venir de partout. Quand je perds une petite amie ou que quelqu’un me manque. Quand je vais au ciné ou que je me promène en écoutant de la musique. Pour ce disque, je suis allé en Islande. Là-bas, la nature est si dramatiquement belle, les immenses paysages si sauvages et si ouverts, que je m’y suis senti comme rarement auparavant. C’était une terrible source d’inspiration et quelques tracks de l’album viennent de ce voyage. J’y suis resté trois semaines avec ma petite amie, puis des amis. On a découvert toute cette eau, ces montagnes blanches contrastant avec ces plages si noires... Tout est noir là-bas. On a loué une petite maison isolée. C’était incroyable.
Incroyable aussi que l’Islande t’ait tant inspiré. La pochette du disque est terriblement actuelle: on dirait le fameux nuage de cendres islandais qui a paralysé l’Europe…
Ouais, c’est trop con, parce qu’on l’a conçue deux mois avant l’éruption du volcan. C’est évidemment une photo d’un nuage de cendres. L’ami qui a composé la pochette m’a appelé alors que je tournais à New York. Il m’a dit : «t’as vu les infos? C’est partout, c’est notre pochette, on peut voir dans l’avenir!» En fait, c’est très bizarre…
Le titre de l’album signifie «dans l’immense là-bas». Où est ce «là-bas»?
Je ne sais pas. Pour moi le titre devait exprimer l’idée de voyage et d’ailleurs sans certitude, pour refléter ce que je recherche dans la musique. C’est un espace ouvert et indéterminé.
C’est aussi une invitation à la rêverie, à l’imagination?
C’est ça qui est beau dans la musique. Les films, on les voit avec les yeux, qui dictent ce que l’on doit ressentir. La musique n’est pas aussi directive. Quoiqu’il y ait aussi pas mal de voix sur ces nouveaux titres, et que j’aie voulu écrire de la musique plus traditionnelle, en un sens. J’avais repéré des instruments qui pouvaient épouser parfaitement les voix de 3 ou 4 amis - C’est toujours avec des amis que je travaille - et j’ai composé en songeant à ces voix.
Excepté sur «Moan», c’est la première fois que tu ajoutes des voix sur ton électronique?
C’est réellement la première fois que je compose en réfléchissant vraiment aux voix. Mais je n’écris pas les textes. Je suis trop nul, et je ne maîtrise pas assez l’anglais. J’ai refilé des mélodies à des copains qui ont écrit ce qu’ils ressentaient sur les sons avant de chanter. C’est une excellente méthode, très pure, parce que ça me permet de ne pas mentir. Les chanteurs sont aussi plus concernés. Et le titre en devient meilleur.
Ils t’accompagneront en live?
Certains oui, mais pas tous, car se déplacer partout en groupe, c’est trop cher. On est déjà 6 ou 7 musiciens sur scène.
C’est un gros changement pour toi?
Oui, en un sens. Mais pour la précédente tournée, j’ai fait 78 dates en trio sur un an. Ça fait beaucoup de concerts. J’avais un bassiste et un guitariste avec moi. Donc ce n’est pas si nouveau.
Ce disque marque un tournant dans ta carrière. Tu arrive vers un son post rock, voire carrément pop. Un son plus organique aussi. Comment as-tu conçu ce changement?
Ce n’est pas conscient. Ma carrière n’est pas un voyage au cours duquel je décide de prendre tel ou tel chemin. Certains amis à qui j’ai fait écouter l’album ont eu la même réaction. Mais la musique a grandi d’elle-même. Je n’ai jamais décidé de diminuer l’importance de l’électronique ou d’augmenter celle de la musique jouée.
Tu te produis toujours en DJ?
J’ai offert mon dernier DJ set il y a un gros mois. J’ai besoin de me consacrer entièrement au disque et au live maintenant. Mais j’ai beaucoup tourné comme DJ l’an passé. Ça m’a permis de réunir l’argent pour produire le disque.
Tu ne pourrais pas vraiment jouer «Into the Great Wide Yonder» sur un dancefloor. Mais avec «The Last Resort», c’était plus facile.
Nettement. Je suis serein. Je n’ai pas réfléchi au club cette fois. C’est davantage un album à écouter en fermant les yeux. Pour dériver, se laisser aller…
Ta musique est assez froide, pourtant…
J’ai essayé de la rendre plus chaude. Mais il faut bien dire que pas mal de musique qui vient de Scandinavie se teinte de ce bleu et de ce froid. C’est aussi le cas de la musique populaire scandinave, si on remonte 200 ou 300 ans en arrière. Elle n’est pas triste. Mais définitivement pas heureuse non plus. Cette façon de ressentir la musique fait intrinsèquement partie de moi. Comme pour Sigur Ros ou Fever Ray.
L’Europe parle sans cesse de la scène électronique scandinave. T’en as pas marre de notre façon de la voir comme unique.
Non, car comme je l’ai dit, le son scandinave a ce caractère froid qui l’unit. Cette mélancolie.
Les journalistes aiment partager la scène electro. Le son parisien, foutraque, chargé, lourd, comme chez Ed Banger. Et le son berlinois, sage, minimal, plus lisse, comme chez BPitch ou Kompakt. Sans oublier la scène anglaise dubstep, urbaine et influencée par le hip-hop. T’en penses quoi? J’ai toujours trouvé ça bizarre que les gens essayent sans arrêt de ranger les musiciens dans des si petites boîtes. Pour moi, on s’en fout d’où vient la musique, tant qu’elle est bonne. Bien sûr, il y a un son berlinois, qui a été très influent, mais c’est surtout une manie de journaliste.
Tu aimerais composer une BO?
En fait, j’ai déjà composé pour des films et des documentaires. Et ça me fait du bien, car dans ces projets, je ne suis plus seul dans ma chambre. J’ai l’impression de faire partie d’une large équipe au service de laquelle je me mets. Ca permet aussi d’être à l’écoute des directives du réalisateur, qui apporte un regard extérieur sur ton travail. Ce qui est toujours positif.
Si tu pouvais choisir un réalisateur avec lequel travailler?
C’est un cliché énorme, mais avec David Lynch, ça me plairait beaucoup. J’adore ce qu’il fait, je suis fan de son travail. Sa façon de jouer avec la subculture. «Mulholland Drive» est un de mes films favoris. Le scénar est juste complètement fou. Et c’est ça qui fait sens. Je l’ai vu 4 ou 5 fois et je ne comprends toujours rien. Et puis, composer une musique aussi belle que celle de Badalamenti, j’adorerais. J’ai essayé, mais c’était foireux.
Et composer une musique aussi difficile à appréhender que les films de Lynch le sont, ça t’intéresserait?
Je ne crois pas, car ce n’est pas la nature de la musique selon moi. Bien sûr, on peut toujours composer des choses plus abstraites. Pour certains films, j’ai d’ailleurs préféré composer des morceaux plus atmosphériques, presque des collages, vraiment éloignés de ce que je fais habituellement. Interview:
Julien RENSONNET
i - Trentemøller ce mardi soir à l'AB, sold out
i - Trentemøller, "Into the Great Wide Yonder", In My Room/NEWS, sorti en juin
@ - http://www.anderstrentemoller.com/
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