De Nirvana et de ses fans, on a cette image de jeunes en cols roulés trop grands, jeans déchirés et baskets défoncées, cheveux longs, khôl et regard en berne. La négligence un peu crade élevée au rang d'art. On sait qu’ils ont pleuré Kurt Cobain, au milieu des années 90. Mais à part ça?
"Pas grand-chose", relève, un peu amer, le Français Alexandre Pasche, co-auteur en 1983 de "Les mouvements de mode expliqués aux parents", aujourd’hui directeur de l’agence de conseil en communication Eco&Co. "Le mouvement grunge est une petite mode, une mode de surface. Au contraire des courants majeurs antérieurs. Le punk, le hippie, le new wave pensait sa philosophie au-delà du look: point de vue musical mais aussi politique, sexuel, physique, alimentaire, voire hygiénique... Le grunge comme le rap, son courant parallèle des 90ies, ne voyait rien d’autre que la musique et le look. Sans vouloir être péjoratif, le grunge me semble un sous-punk mais vide et résigné. Kurt Cobain s'est suicidé: ce n'est pas anodin. Johnny Rotten (emblématique chanteur des Sex Pistols) ne s'est pas suicidé. Sid Vicious (bassiste du même groupe) est mort mais de ses excès."
Pas de vague de fond. Mais un renoncement d'époque. Dès le début des années 90, le son du trio remplace donc enfin celui des baby boomers. Nous sommes à la toute fin des années 80 à Seattle. La ville n'est pas encore celle des bobos des comédies sentimentales. Le chômage frappe cette zone industrielle de la côte ouest. "Une génération entière est ravagée. C’est la résignation. Les années 90 arrivent: ce sont les pires, les années désespérées. Avec la guerre du Golfe, la surexploitation du Tiers-Monde, les grandes années sida,les golden boys cyniques, les serials killers..., les jeunes estiment que l’Occidental est un salaud, un dégueulasse. Mais au contraire du punk révolutionnaire et nihiliste qui a beaucoup innové, ils répondent par la résignation. Comme le gothique ou les films gore, qui pullulent aussi à l'époque. Cette absence de volonté révolutionnaire du grunge me gêne un peu. Il est la redite du punk, mais sans la rage révolutionnaire. Avec les altermondialistes, les écolos radicaux, les indignés, les années 2000 sont bien plus contestataires."
Désespoir, faillite de l’optimisme, manque d’une réelle figure de proue comme Malcolm Mclaren l'était pour le punk: le grunge ne lègue pas grand-chose. "À part le look et la musique, je ne vois aucune œuvre forte. D'ailleurs, electro et r'n'b, les nouveaux grands courant musicaux des années 2000, se contentent eux aussi de n'imprimer qu'un look. Musicalement, le grunge n'est qu'un gloubi-boulga du rock antérieur: le punk, le hard rock, le heavy metal... Il ne laisse que les disques de Nirvana. Et encore! C’est de la très bonne musique, mais bien peu innovante. On a du mal à voir la différence avec Led Zepplin ou Aerosmith".
No future, vraiment.
Julien RENSONNET
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