C’est à dix-neuf ans qu’on a sans doute le plus envie d’en avoir vingt : c’est un programme d’anniversaire que nous conviait le Palais des congrès cette année avec, sur papier, un programme prometteur. On se disait à l’avance qu’on ne saurait où donner de l’oreille ces vendredi et samedi du beau mois de mai… et ce fut le cas ! Disons d’emblée aux chagrineux qui auraient fait l’impasse sur le festival liégeois ou à ceux qui ne possèdent pas le don d’ubiquité que la RTBF a pris la bonne habitude d’enregistrer quelques concerts ( moins que les autres années m’a-t-il semblé, dommage) et que les revoir en cours d’année sera un vrai bonheur.
Ce sont les jeunes pousses de « Momentum » (avec Axel Gilain à la basse) qui avait l’honneur d’ouvrir les festivités et, pour les avoir vus à Dinant l’an passé, on a pu mesurer le pas en avant fait par l’ensemble : mise en place, énergie, cohésion, un extraordinaire vibraphoniste, un batteur très en avant… ces jeunes-là ont du talent à revendre !
La fille de sa mère
Abih Abou-Khalil, avec son éternel complice Jarrod Cagwin à la batterie, présentait une formule plus libertaire qu’habituellement : le déferlement pianistique de Joachim Kühn bouleversait la sagesse du oud avec fougue et invention.
Elle est bien la fille de sa mère ; China Moses (photo Jos Knaepen) semble aussi à l’aise que Dee Dee Bridgewater : belle présence scénique, du charme à revendre et un hommage à Dinah Washington plutôt bluesy avec quelques jolis moments laissés à Daniel Huck au sax-alto.
Dans un tout autre registre le pianiste français Baptiste Trotignon soigne un répertoire de compositions personnelles séduisantes tout en revisitant de façon fort personnelle des standards monkiens ( « Thelonious ») ou de Cole Porter ( « It’s Allright With Me ») ; il faut dire qu’avec la rythmique explosive et millimétrée de Thomas Bramerie et Frank Aguhlon, le pianiste joue sur du velours !
Stacey Kent est « la » voix du moment : un succès fou qui a sûrement attiré pas mal de fans en bord de Meuse – la salle était archi-comble et l’est restée jusqu’à la dernière note ! La chanteuse anglaise à la parfaite diction – en anglais, bien sûr, mais aussi en français – au risque de choquer les convertis ne m’a jamais vraiment emballé : très belle voix, certes, mais parfois un peu trop enjouée, rien de bien révolutionnaire dans le style et dans le répertoire… Et pourtant, je suis resté accroché, sous le charme – comme aux concerts précédents où j’ai vu Stacey – sans perdre une syllabe, une note d’un concert superbement mis en place, sans jeu de scène, mais avec une présence discrète, un peu comme si le quartet jouait dans votre salon et que vous n’osiez même pas vous absenter pour ouvrir le frigo. En plus, à peine sorti de la salle, ne voilà-t-il pas que la frêle Stacey vous dédicace son dernier album sur le velours du Palais…Oufti !... comme on dit à Liège !
Petits couacs
Dès 18 heures, la soirée du samedi reprenait avec une autre chanteuse, de chez nous cette fois : Natacha Wuyts swingue drôlement bien et chante les ballades avec beaucoup de sensibilité : j’adore « Bewitched, Bothered and Bewildered » et j’avoue que j’ai été charmé comme une bonne partie du public. A réentendre au plus vite !
Avec le pianiste classique Jean-Philippe Collard-Neven, Jean-Louis Rassinfosse forme un duo dont les deux CDs ont connu un réel succès, touchant à la fois un public de mélomane et de jazzfans. Elargi pour une carte blanche au « Gaume Jazz 2008 », le duo s’est étoffé avec la venue de Fabrice Alleman au sax et à la clarinette, et de Xavier Desandre-Navarre aux multiples percussions, voix et autres bruitages. Très écrite, la musique du quartet séduit par ses mélodies poétiques, mais aussi par les couleurs sans fin que prennent les improvisations au gré des percussions et des variations d’ambiance par l’utilisation de différents claviers.
Les vrais et purs du jazz hard bop attendaient Steve Grossman et ils ne furent pas déçus : rien de lisse chez l’ancien saxophoniste de Miles Davis, la musique vient des tripes et quelques envolées célestes resteront dans les mémoires… comme l’un ou l’autre petit « couac », car Grossman vit le jazz dans l’instant avec ses aléas et ses moments de bonheur. Beaucoup de place laissée à l’élève Valerio Pontrandolfo et au pianiste Alain Jean-Marie et une heure de grand jazz.
Je m’étais dit que je ne raterais pas le concert d’Ado Romano (photo à droite), son dernier CD est une petite merveille. Et avant le concert, ce qui ne devait être qu’un petit détour par le « Club Maison du Jazz » pour écouter « Trio Grande (photo à gauche, Christian Deblanc) + Matthew Bourne » s’est transformé en pure gourmandise qui vous fait oublier ce qui suit au menu… Epoustouflant, il n’y pas d’autre mot… Si, tout de même : voilà une formation à la musique pointue, qui s’acoquine avec le free jazz, la musique contemporaine, rien de facile, …et le public en redemande jusqu’à plus soif ! Voilà qui fait du bien à voir et à entendre ! Auteur d’une des plus belles productions discographiques de l’année 2008 (« Un Matin Plein de Promesse » chez De Werf), «Trio Grande» se libère complètement sur scène et laisser se débrider tout le potentiel d’énergie qu’on ressent déjà sur le CD, avec une dose d’humour ébouriffant.
Les oreilles dégustent
Ouf… Le décalage permet de voir la fin du concert du batteur français : « Just Jazz », c’est le titre de l’album et, sur scène, ça fait plaisir : Aldo Romano est visiblement de bonne humeur et heureux de présenter, à côté du complice de toujours Henri Texier, deux jeunes recrues qui épatent : le clarinettiste Mauro Negri et la saxophoniste-alto Géraldine Laurent : si on connaît quelques souffleuses qui doivent leur succès à leur mini-jupe ou à l’échancrure de leur décolleté, avec Géraldine Laurent c’est avec les oreilles qu’on déguste : énergie, répartie, invention, cette jeune fille a tout d’une future grande!
Encore plus que les années précédentes, on quitte le Palais des Congrès avec la tête plein de belles choses, mais aussi avec quelques regrets : celui de ne pas avoir entendu une note de « Jazz Meets Classic », une rencontre entre Ravel, Debussy, Poulenc, Gershwin,… et le jazz imaginée par Patrick Baton (le projet est liégeois : peut-on espérer le voir réédité en d’autres lieux ?) ; celui d’avoir été trop fatigué pour apprécier à sa juste valeur le concert de Dave Holland : son groupe à géométrie variable est un des plus excitants de ces dernières années et les concerts vus précédemment avaient laissés de grands souvenirs…Dommage ; celui aussi d’avoir zappé Rick Margitza et Olivier Hutman… J’allais oublier : le succès public 2009 fut énorme… car là est bien le nerf de la guerre pour fêter dignement le vingtième anniversaire !
Jean-Pierre GOFFIN
@ - http://www.jazzaliege.be/
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